ARTICLE DU JOUR : PALUDISME

Quand CRISPR/CAS9 ouvre une nouvelle voie au traitement du paludisme

Une étude publiées par des chercheurs de l’université John Hopkins tend à démontrer que le blocage d'une protéine clé trouvée chez les moustiques Anopheles gambiae - le principal vecteur de transmission du paludisme à l'homme en Afrique - pourrait contrecarrer l'infection par les parasites du paludisme et ainsi les empêcher de transmettre les parasites à l'homme.

Dans une expérience en laboratoire, dont les résultats se trouvent dans le PLoS Biology du 26 janvier 2022, les chercheurs ont utilisé la technologie d'édition de gènes CRISPR/Cas9 pour supprimer le gène d'une protéine appelée CTL4 des moustiques Anopheles gambiae. Cette délétion a rendu les moustiques très résistants au parasite du paludisme. Les chercheurs ont estimé que la perturbation de la protéine CTL4 entraînait une diminution de 64 % de la prévalence de l'infection. De ce fait, le ciblage de la protéine CTL4 pourrait être à la base de nouvelles stratégies de lutte contre le paludisme dans les régions où il est encore endémique.

 

Le paludisme reste l'une des principales maladies dans le monde. En 2020, il a causé environ 241 millions de cas et 627 000 décès, principalement chez des enfants de cinq ans et moins, selon l'Organisation mondiale de la santé. La lutte contre le paludisme repose sur une combinaison de mesures préventives et de traitements, notamment des moustiquaires, des insecticides, des médicaments antipaludiques. La solution vaccinale arrive depuis l’année dernière, avec une efficacité encore à améliorer.

Dans ce cas, l’idée est de se concentrer sur la chaîne de transmission moustique-humain, recherchant des moyens de rendre les moustiques plus résistants aux parasites du paludisme.

 

Des études antérieures ont identifié CTL4, une protéine aux fonctions multiples, comme cible possible de l'altération des moustiques. La réduction du niveau de CTL4, à l'aide d'une technique plus ancienne appelée ARN-interférence (ARNi), protège fortement les anophèles de l'infection par un parasite appelé Plasmodium berghei, qui provoque une maladie semblable au paludisme chez les rongeurs et qui est couramment utilisé pour modéliser le paludisme humain.

 

Des études ont montré que la réduction d'Anopheles CTL4 à l'aide d'ARNi ne les protège pas de manière significative contre l'infection à Plasmodium falciparum, le parasite du paludisme humain le plus dangereux et celui qui est le plus répandu en Afrique. Cependant, en raison des limites de la technologie ARNi, la réduction de CTL4 dans ces études n'était pas complète.

 

Dans cette nouvelle étude, Dimopoulos et ses collègues ont utilisé la technologie de suppression de gène CRISPR/Cas9. Celle-ci est plus puissante pour supprimer complètement CTL4.

 

Par la suite, ils ont mis en contact  deux populations différentes de moustiques - non-CTL4 et intacts-CTL4 – avec des échantillons de sang humain mélangés à des parasites P. falciparum. Huit jours plus tard, ils ont observés que les insectes non-CTL4 avaient des taux beaucoup plus faibles d’infection. Lorsque la concentration de parasites dans le sang était élevée, seuls 45,0 % des moustiques non-CTL4 hébergeaient les parasites, contre 97,3 % de leurs cousins ​​intacts-CTL4.

Lorsque la concentration de parasites dans le sang humain était faible, imitant les conditions typiques dans la nature, seuls 19,7 % des moustiques non-CTL4 étaient infectés, contre 61,3 % des moustiques témoins.

Des études de modélisation de la transmission du paludisme suggèrent qu'un degré de protection aussi élevé dans une population de moustiques se traduirait par une prévention presque complète de la transmission locale des moustiques à l'homme, selon George Dimopoulos, professeur au département de microbiologie moléculaire et immunologie de l’institut W. Harry Feinstone de la Bloomberg School et directeur adjoint du Johns Hopkins Malaria Research Institute.

 

« L'étude comprenait également des expériences éclairant les mécanismes biologiques par lesquels CTL4 aide normalement les parasites du paludisme à survivre dans les moustiques. Cela représente une avancée significative dans la science fondamentale du paludisme, en plus de son importance translationnelle potentielle », déclare Dimopoulos. Il rajoute : « Par rapport à la plupart des autres stratégies de manipulation de gènes ou de génie génétique qui ont été étudiées, ces résultats sont vraiment puissants et prometteurs ».

 

Bien que la suppression de CTL4 n'ait pas eu d'impact significatif sur la durée de vie des moustiques dans l'étude, les expériences ont été réalisées dans des conditions de laboratoire artificielles et devraient donc être reproduites dans des conditions plus naturelles avant que la suppression de CTL4 puisse être testée comme stratégie de lutte contre les moustiques dans le milieu sauvage. CTL4 a de multiples rôles chez les moustiques, y compris un rôle essentiel au cours du développement, de sorte que toute stratégie anti-CTL4 viserait, par exemple, à faire taire la protéine uniquement à l'âge adulte.

 

Dimopoulos et son équipe travaillent maintenant sur des stratégies pour parvenir à cette suppression sélective de CTL4, y compris l'utilisation de techniques d’ « entraînement génétique » qui, en principe, pourraient forcer un gène artificiel supprimant CTL4 dans les populations de moustiques dans la nature.

Cette voie de traitement n’est donc qu’à son début et pose plusieurs questions, notamment comment étendre cette modification génétique chez les moustiques dans la nature et y aurait-il des conséquences sur leur espérance de vie ? Elle interroge aussi sur l’utilisation du génie génétique, notamment CRISPR/CAS 9, dans la mise en place d’une stratégie de prévention anti-infectieuse. Des réflexions qui ne font que commencer…

 

Article original : C-type lectin 4 regulates broad-spectrum melanization-based refractoriness to malaria parasites, Maria L. Simões, George Dimopoulos, PLOS BIOLOGY

https://doi.org/10.1371/journal.pbio.3001515

 



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